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Tout en douceur

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Il était une fois...
--> Si seulement cela ne pouvait être qu'une fiction...

Il était une fois, dans une contrée très proche, des gens qui croyaient avoir le pouvoir de détruire d'autres personnes.

La famille P. faisait partie de ces gens. En les voyant de loin nul ne pouvait se douter de cette volonté de pouvoir fielleux qui les habitait, et même en les côtoyant au quotidien il était difficile de percevoir la cruauté qui pourtant faisait partie intégrante d'eux-mêmes. Le problème était que cette cruauté mesquine ne s'orientait qu'envers certaines autres personnes, et que dans cette contrée ce pouvoir pouvait tout à fait passer pour légitime.

 
La famille P. pouvait ainsi détruire quelqu'un le matin et festoyer joyeusement le soir-même sans plus y penser.
 
Leur gras visage luisant de haine à l'encontre de quiconque s'opposait à leur point de vue (qui était le bon, forcément, naturellement) avait la capacité de se muer en grimace mielleuse face à celui qui voulait entrer dans leur cercle.

Lorsque le petit imprimeur de la ville de T. où ils habitaient entendit parler d'eux, il fut d'abord surpris puis réalisa que ce comportement était en fait assez courant. La famille P. avait un mode de vie qui lui convenait, et de ce fait était persuadée que tous devaient donc l'adopter et que tous ceux qui ne le suivaient pas (même sans s'y opposer) devaient donc être détruits. Et dans la ville de T. il était très facile de détruire ainsi des gens.

C'est en discutant avec l'ermite aux cheveux d'or qui vivait dans la forêt voisine que le petit imprimeur apprit l'histoire des deux encres ; il avait en effet retrouvé au fond de l'imprimerie un ancien document incomplet relatant une affaire où il était question d'encre, de jugement et de condamnation. Le nom de l'ermite y figurait aussi, ainsi que celui de la famille P.

L'affaire semblait de prime abord totalement absurde, et il fallait vraiment être un habitant de T. depuis plusieurs générations obtuses pour trouver cela tout à fait normal.

Quelques années auparavant, l'ermite aux cheveux d'or était en bonne relation avec la famille P. et parfois une collaboration professionnelle s'instaurait même entre eux. Le travail réalisé convenait toujours et la famille P. était à chaque fois satisfaite des résultats obtenus.
Le petit imprimeur ne comprit d'ailleurs pas tout de suite la nature du problème. Tout ce qu'il voyait était que l'ermite avait utilisé lors des premières étapes de conception une encre de violette alors que la famille P. préconisait, non, imposait, l'usage de l'encre de pomme. Cet usage n'avait aucune incidence sur la réalisation finale, c'est pourquoi la famille P. ne s'en était pas aperçu de prime abord. C'est par hasard qu'un fichier était parvenu sous ses yeux et que l'emploi de l'encre de violette avait été découvert.
Quoi ? C'est tout ? Utiliser une encre de couleur différente pouvait conduire à la destruction de quelqu'un ? Mais c'est absurde ! La famille P. avait un esprit borné au point de ne pas voir que la couleur de l'encre ne change rien au propos écrit ? Cela semblait inconcevable au petit imprimeur, mais il dut se rendre à l'évidence en lisant l'acte de condamnation : l'ermite avait l'interdiction formelle de publier  quoi que ce soit désormais dans la ville de T. et avait auparavant dû subir l'humiliation de la geôle, ainsi que la flagellation publique puis la marque de l'infamie au fer rouge. La ville de T. se targuait en effet d'avoir les moyens décisifs pour punir les contrevenants et dans cette contrée bornée, tout ceci semblait très naturel.

Suffoqué de tant de démesure à ses yeux, (il ne travaillait ici que depuis quelques années et ne s'était en fait jamais habitué à ces règles), le petit imprimeur voulut en savoir davantage et c'est ainsi qu'il se rendit en forêt pour rencontrer l'ermite aux cheveux d'or.
Plusieurs années s'étaient écoulées depuis l'affaire mais vu l'ampleur de la peine, le petit imprimeur était persuadé que l'ermite avait toujours le cœur broyé par l'infamie subie.
La souffrance vécue était en fait à la mesure de la déchéance ressentie : immense.
Mais le pire était le sentiment d'injustice qui ne parvenait pas à s'estomper. L'ermite n'arrivait pas en effet à comprendre en quoi l'utilisation de l'encre de pomme serait meilleure que l'encre de violette alors que le résultat obtenu était identique, et surtout comment des gens pouvaient faire volte face ainsi dans leur comportement à l'égard de quelqu'un auparavant apprécié : l'ermite n'avait en effet jamais changé, c'est le point de vue à son égard qui avait changé .

Et le pire, vraiment le pire, ne venait même pas du châtiment subi. Le petit imprimeur n'en crut pas ses oreilles.

Là où la famille P. montra toute l'étendue de sa fourbe mesquinerie fut le jour où elle accepta une nouvelle collaboration professionnelle avec un ancien compagnon de route de l'ermite aux cheveux d'or.
Les deux avaient exactement les mêmes méthodes, un talent similaire, un professionnalisme à toute épreuve ; nul n'aurait pu les différencier de prime abord au vu du travail réalisé.

Alors pourquoi accepter l'un et pas l'autre ?
L'ermite aux cheveux d'or se posait encore la question, se torturant jour et nuit à ce propos, sans obtenir d'autre réponse que l'utilisation par l'un de l'encre de pomme et par l'autre de l'encre de violette. Mais cet usage réglementé aussi arbitrairement était tellement absurde en soi qu'il était impossible de l'accepter naturellement pour son âme trop sensible.

Abasourdi, le petit imprimeur ne pouvait que constater que ces propos étaient véridiques, car il connaissait bien le compagnon en question et avait même été plusieurs fois témoin lors de soirées en ville de la grande amitié apparente que la famille P. lui accordait, le tout associé à de mutuelles flatteries  qui comblaient les égo de chacun.
Savoir qu'ils avaient détruit auparavant quelqu'un de si semblable à un détail près semblait inconcevable : comment pouvait-on avoir un tel comportement incohérent ? Comment pouvait-on accueillir l'un et détruire l'autre, avec pour seul argument la différence d'encre utilisée ?
Leur hypocrisie était invisible pour celui qui ne connaissait pas l'affaire, et eux-mêmes auraient été surpris si quiconque avait osé les accuser ainsi : ils étaient dans leur bon droit, l'encre de pomme était la norme dans la ville de T.et celui qui ne l'utilisait pas devait être détruit. Puisque le nouveau compagnon utilisait cette encre, il était donc accepté, c'était aussi simple que cela.

Aucune haine n'était dans le cœur de l'ermite aux cheveux d'or, mais une immense tristesse ainsi qu'un large sentiment d'écœurement stagnaient en profondeur.
La famille P. avait agi en fonction d'une norme qui heurtait la nature sensible de l'ermite, et sa torture actuelle après l'infamie subie était de voir son ancien compagnon prendre sa place comme si rien ne s'était passé.
La famille P. avait la conscience tranquille alors qu'ils avaient détruit quelqu'un. Bien qu'inadmissible  selon un certain point de vue, leur impunité était totale, et c'est cela que n'arrivait pas à admettre l'ermite aux cheveux d'or.
Son existence avait été rayée, balayée, anéantie. C'est comme si sa présence n'avait jamais été effective, tout le travail entrepris auparavant ne comptait plus, toute sa peine endurée était comme effacée aux yeux de ceux qui l'avaient provoquée.

Le petit imprimeur comprenait le bouleversement de l'ermite aux cheveux d'or, mais il savait qu'il était inutile de vouloir apporter des paroles d'un hypothétique apaisement de la situation. Même avec le temps qui atténuera la peine mais sans jamais totalement l'effacer, la blessure subsistera et il allait falloir  apprendre à vivre avec.
Nul ne pourrait changer la famille P. ; il  fallait accepter que de tels gens bornés dans leur discernement existent et il était préférable de sortir de leur route pour ne pas se faire salir par la boue de leur conduite. L'ingratitude est l'autre versant de la reconnaissance, et on peut être essentiel une période avant de sombrer dans les limbes enfouies de ceux qui se voilent la face pour ne pas avoir à se justifier d'avoir changé d'attitude.
Il fallait également accepter l'injustice apparente de voir d'anciens compagnons de route prendre sa place et savoir qu'officiellement rien n'était injuste dans ce choix. La famille P. n'aurait jamais à justifier ses actes, et aucune culpabilité ne les atteindrait. Tout était une question de point de vue, et de norme imposée. Tant pis pour celui qui s'en écarte, sa chute n'empêchera jamais les gens comme la famille P. de festoyer joyeusement le soir venu...

Par contre, le petit imprimeur était formel sur un point : cette famille abjecte dans son comportement n'avait certainement pas détruit l'ermite aux cheveux d'or, il était hors de question de croire cela car cela serait justement leur donner ce pouvoir. Alors certes, une partie de la vie de l'ermite avait été détruite mais absolument pas son être interne et profond.

L'heure était venue de tourner la page de cette triste histoire et d'aller dans une autre contrée, loin de ces gens fielleux. 

Construire une vie ailleurs était possible, là où l'expression des mots se jouait de la couleur utilisée et où la liberté n'était pas qu'un vain mot usé et ne servant en fait que de façade.
Pour la première fois depuis longtemps, l'ermite aux cheveux d'or retrouva alors son sourire, et plus important encore : la confiance en sa propre valeur.
La route vers l'apaisement total allait certes être longue, mais la décision d'agir était prise : en route vers la lumière !


Ecrit par adagio, le Vendredi 5 Septembre 2008, 22:03 dans la rubrique "Appoggiature".

Commentaires :

Quelqu'un
06-09-08 à 01:15

et l'imprimeur, que fait-il?
et toi?

 
Quelqu'un
06-09-08 à 01:28

Re:

et où est la lumière?

 
adagio
06-09-08 à 12:09

Re:

Le petit imprimeur est observateur de cette histoire, et moi je l'ai rédigée.

Savoir où est la lumière est une vaste question car je crois que chacun a la sienne ; je dirais que c'est derrière l'ombre, que c'est là où les fantômes ne peuvent pas apparaître, que c'est un endroit sans faux semblants où toutes les couleurs de la vie peuvent s'épanouir, sans se cacher et en plein jour. Après, toute lumière peut se moduler en intensité :)

 
AboveTheClouds
18-09-08 à 11:32

Re:

Je souhaite que tu trouves la lumière. Qu'elle te guide dans l'obscurité, qu'elle éclaire les endroits cachés, qu'elle efface les brouillards. Bonne route à toi!

 
adagio
22-09-08 à 18:37

Re:

Tes encouragements sont très touchants : merci à toi !! :)
Oui la route a des côtés sombres et les chemins de traverse que j'utilise ne sont en plus pas les plus simples, mais je crois que partout il existe des ondes de lumières. Même toutes petites. Après il suffit d'aviver la flamme pour augmenter l'intensité. Et les vœux tels que les tiens y contribuent !
Grazie mille

 
Delirium-Tremens
27-09-08 à 10:53

Et le but, peut-être, pour cette famille mesquine et que le petit imprimeur se pose encore et encore des questions, se mine l'esprit et la joie de vivre pour cette affaire... Et si le petit imprimeur tentait de ne plus y penser??....
En espérant que ça ira mieux (même si j'écris quelques vingtaines de jours plus tard...)
A bientôt...

 
adagio
01-10-08 à 10:37

Re:

Très bonne réflexion de ta part, et proposition en effet souhaitable : l'idéal serait de ne plus y penser. Mais je crois que les pensées ne se commandent pas, et que lorsque quelque chose d'aussi absurde a fait autant de dégât, il est compréhensible que cela continue de miner encore quelque temps...
Mais je crois que progressivement les chemins s'éloigneront de plus en plus entre les deux conceptions de vie ; chacun restera dans son univers mais au moins il n'y aura plus d'atteinte blessante.
Merci à toi de ton passage, et tu sais : peu importe la date où tu viens laisser une note, moi-même n'étant que trop souvent de passage trop bref ici, je sais que chacun a sa liberté d'expression, à sa façon, en son temps.


 
MangakaDine
08-11-08 à 16:20

Que deviens-tu?
Ca fait longtemps qu'on n'a plus de nouvelles.

 
adagio
09-11-08 à 07:22

Re:

Je ne vous oublie pas, aucune (aucun) d'entre vous. Je passe de temps à autre lire quelques pages, mais je reconnais mon manque d'assiduité de ma part car il y a beaucoup de grandes et profondes modifications dans ma vie perso actuellement.
Changer de vie en tout point ne se fait pas un jour, mais là c'est parti.
Ce matin j'utilise pour la dernière fois ma connexion Internet, car après il faudra un peu de temps pour que la nouvelle soit installée. Petite pensée pour Bridget Jones, pour Exvag, qui eux aussi ont connu il y a quelque temps les déménagements, pour Aphone aussi qui est restée longtemps aussi sans Internet (et tous ceux que j'oulie, comme Traverso la flûtiste, et tant d'autres qui ont bougé aussi, désolé, ma mémoire est incertaine parfois) ... Les lire a toujours été encourageant pour moi.
Alors désormais c'est à mon tour.
Merci à toi t'être passée belle musicienne, au plaisir de te relire à nouveau sous un nouvel horizon en ce qui me concerne. (même si cela ne se voit pas sur le Web !!)

:)



 
MangakaDine
09-11-08 à 22:28

Re:

Bon et bien j'espère que tout se passe bien pour toi et que ce changement présage plein de choses bénéfiques. Et qu'une fois posé, tu puisses réécrire, de temps en temps, quelques mots pour nous dire où tu en es, comment tu vas.

Bisous.

 


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