Tout en douceur

Vendredi soir je sors du boulot ; semaine chargée comme d'hab, fatigue généralisée, esprit embrumé, mais suffisamment lucide pour conduire. Pour une fois d'ailleurs il n'est pas trop tard, et je sais que les rares fois où j'ai quitté la boîte dans ces heures-là, un train en profitait pour passer et cela me permettait ainsi de commencer à savourer le break du week-end face à la barrière abaissée, contemplant les cabanes dévastées proches de la voie ferrée, les potagers en friche, et les collines boisées au loin. Une douceur ambiante.
Mais vendredi dernier, pas de train, pas de barrière baissée, rien a priori pour ralentir le rythme de ma voiture. Pour un peu, une sorte de déception se serait pointée si au fond de moi je ne m'étais dit qu'il est dommage de se laisser enfermer par des habitudes, et qu'au contraire il est préférable de laisser les évènements survenir ou non, sans les attendre, sans les prévoir.
Je m'apprête donc à traverser la voie dégagée, lorsque je le vois. Je pile net. Pas d'autres véhicules derrière moi, heureusement !
Il est tout petit, minuscule même. Comment mon regard l'a-t-il aperçu d'ailleurs ? Peut-être parce que son propre regard reflétait une telle douceur qu'irrésistiblement le lien s'est formé. Il venait d'un des potagers annexes je pense, et il ne devait pas être encore au courant des dangers de s'approcher des routes.
Comment appelle-t-on le petit du lapin ? Peu importe, c'était une adorable petite créature à la fourrure soyeuse, à la curiosité intacte, et au regard si doux.
A travers ma vitre ouverte je lui ai donné les conseils nécessaires à la survie en milieu semi-urbain, et j'ai terminé en lui disant de rentrer vite chez lui ; je savais qu'il venait d'avoir beaucoup de chance mais lui ne pouvait pas le deviner.
En tout cas il a obtempéré, car après un dernier échange de regard, il a filé et j'ai alors pu reprendre ma route avec auprès de moi cette belle image si douce du petit lapin découvrant le monde.